Les Journées Européennes du Patrimoine 2023 ont été l’occasion de découvrir l’intérieur de la Bourse de Commerce, qui a partagé avec la Tour Eiffel la vedette de l’Exposition Universelle de 1889. Avec son dôme de métal et verre culminant à 40m, cet édifice était à l’époque lui aussi une vitrine du savoir-faire français en matière de construction métallique. Ce bâtiment au remarquable plan circulaire né à la fin du XVIIIe siècle (1767) remplissait la fonction de halle au blé, lieu de stockage et négoce du blé. Pour mieux conserver la céréale, la cour intérieure à l’origine à ciel ouvert fut recouverte en 1782 d’une coupole en bois, puis suite à un incendie, une coupole couverte de feuilles de cuivre fut posée en 1813 par l’architecte F-J Bélanger, cuivre remplacé par des vitres en 1838 pour améliorer la luminosité et l’aération.
En 1858, un nouvel incendie et le développement de minoteries en périphérie de la capitale en réponse aux besoins croissants d’une population parisienne grandissante (500.000 habitants en 1800, 1 million en 1840) mirent un terme à l’activité de la halle au blé qui ferma ses portes en 1873. Mais la localisation au centre de Paris restait attractive pour une autre activité alors hébergée au Palais Brongniart, celle de bourse de marchandises. L’architecte Henri Blondel, en charge de la reconstruction et de la transformation de la halle au blé, conserva le mur circulaire intérieur, la cour intérieure et la coupole de métal, dont il fit maçonner en briques le tiers inférieur pour permettre la pose d’un vaste panorama peint ayant pour thème « l’aventure du commerce et des échanges sur tous les continents, à la gloire d’une France triomphante, aux visions folkloristes et coloniales ». Quatre artistes se répartirent la représentation du monde sous la direction du peintre Alexis-Joseph Mazerolle qui plaça aux quatre coins cardinaux des allégories des régions et continents qui les encadrent.
En partant du Nord, quatre quarts de cercle se succèdent : 1- l’Empire Russe et le Grand Nord par Désiré François Laugée , 2- l’Europe et l’Empire Ottoman par Hippolyte Lucas, 3- l’Asie et l’Afrique par Georges-Victor Clairin 4- l’Amérique par Évariste Vital Luminais. L’ampleur de ce décor est impressionnante - 10m de haut pour 140m de long, soit près de 1.400 mètres carrés de toile – tout comme la technique utilisée. Les artistes ont d’abord peint sur des lés de toile, qui ont ensuite été encollés, découpés et incisés pour être fixés sur les parois de la coupole. Une fois les lés en place, les artistes ont procédé au raccord de ceux-ci et à des reprises sur certaines parties. Riche en détails, la composition invite à un voyage au long cours : un voyage autour du monde, mais aussi dans le temps, un retour vers la vision portée à l’époque sur la France alors en plein essor industriel et commercial à la fin du XIXe siècle et sur des contrées lointaines aux cultures et paysages si différents, une vision empreinte d’imaginaire et de fascination mêlée à l’approche stylistique personnelle de chacun des artistes.
Dans le bâtiment restauré, inauguré le 24 septembre 1889, fut lancée une activité boursière en plein essor, les marchés à terme sur des produits issus de l’agriculture : céréales, huile, sucre, alcool, caoutchouc. En 1998, l’informatisation des marchés mit un point final à la négociation boursière dans l’édifice circulaire, mais celui-ci se réinventa une nouvelle fois.
C’est ainsi qu’en 2021, après 3 intenses années de restauration en collaboration avec la Direction des musées de France, et de transformation sous la direction de l’architecte japonais Tadao Ando, il est devenu musée d’art contemporain abritant le site français de la Collection Pinault. Quand vous pénétrez dans l’édifice, un dialogue s’instaure, votre regard se tourne tout naturellement vers son cœur lumineux, la fresque se dévoile, un escalier s’enroulant doucement autour d’un cylindre de béton vous invite à la découvrir et vous mène à une passerelle d’où vous pouvez, à 9m du sol, l’admirer dans son ensemble.
Vous voyagez, comme bon vous semble, aux quatre coins du monde, à travers les yeux, le talent et l’imaginaire d’artistes de la fin du XIXe siècle. Le ciel de la fresque se fond dans le ciel parisien, qui s’invite dans le bâtiment. Prouesse d’architecture et d’ingénierie, la verrière d’Henri Blondel qui a été dotée d’un tout nouveau double vitrage, préserve l’intensité lumineuse tout en protégeant du rayonnement solaire la fresque et les œuvres exposées dans la rotonde et en assurant de bien meilleures performances thermiques au bâtiment. Geste symbolique, en écho à la circularité du bâtiment, le cylindre de béton de 30m de diamètre et 9m de haut, placé au centre de l’édifice, est au cœur du lien passé-présent-futur qui sous-tend la réalisation de T.Ando, créant un « passage » entre le bâtiment ancien et les fonctions nouvelles : il permet le traitement de l’air, accueille les dispositifs d’éclairage, absorbe une partie de la résonance de la rotonde (des « pièges à son » ont été insérés dans la peau de béton), accueille une salle d’exposition et organise des voies de circulation pour accéder aux galeries des collections.
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